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Contexte et structure de l'oeuvre

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Contexte et structure de l'oeuvre Empty Contexte et structure de l'oeuvre

Message par Flora Mer 26 Jan - 17:28

I.Contexte de l'œuvre

Le contexte est au XVIIème siècle, car le contexte social, politique et religieux de ce siècle fascine véritablement Quignard, notamment le débat politico-religieux de la seconde moitié du XVIIème siècle. Marin Marais et Sainte Colombe incarnent deux modes de pensée, deux modes de vie, deux rapports à la musique différents. Pour Marin Marais, la musique peut être aus ervice d'un ordre politique, tandis que Sainte Colombe refuse tout succès social par la musique.
Le récit lui-même se déroule entre 1650 et 1689, c'est-à-dire pendante le règne personnel de Louis XIV. Cette période correspond à ce que l'on a appelé plus tardivement le classicisme (qui repose sur la règle, la contrainte, l'ordre et l'écriture épurée, à l'image du pouvoir de Louis XIV). Le roi rassemble pour la maîtriser l'aristocratie autour de divertissements dont les maîtres d'œuvre sont Molière et Lully, au service du roi. Ce pouvoir renforcé (auquel s'ajoute la révocation de l'édit de Nantes qui met fin à la tolérance pour renforcer la religion catholique avec le soutien des jésuites) donne lieu au renforcement de deux courants de pensées qui s'y opposent : le libertinage et le jansénisme.

A. Le libertinage

C'est un courant libre-penseur qui s'est répandu dès le XVIème siècle chez les érudits, qui cherche à s'émanciper de la tutelle de l'Église et de sa tradition. Il fait des adeptes dans les milieux intellectuels et est parfois d'inspiration athée. Des gens comme La Motte le Vayer (1588-1672) prônent la séparation de la religion et de la pensée. Molière en parle dans Dom Juan, où le personnage fait l'éloge de l'infidélité. Le mouvement se poursuit au XVIIIème avec Laclos puis Sade. Une figure du libertinage est évoquée aux chapitres I (p.08) et II (p.12) de Tous les matins du monde : Vauquelin des Yveteaux, poète baroque qui fait l'éloge de l'amour et de son inconstance.

B. Le jansénisme

Sainte Colombe est le personnage qui incarne au plus près cette référence au jansénisme, mais il n'est pas le seul : Claude Lancelot (chap.II, p.10), Madame de Pont-Carré (chap.II), Monsieur de Bures (précepteur, chap.I)... Ils vont jouer un rôle important dans l'intrigue du roman mais également dans le ton de la narration, qui est très proche de la parole des moralistes, avec des maximes.

RAPPEL HISTORIQUE

I.Etapes avant le jansénisme

A. La crise religieuse au XVIème siècle

Au XVIème siècle, l'Église catholique perd sa légitimité car elle apparaît pas assez liée au texte, et donc elle ne semble plus transmettre une parole vraie. Elle semble se préoccuper du paraître. Elle ne peut donc plus répondre à la question du salut. Cela donne lieu à des contestations qui aboutissent à la création du protestantisme de Luther puis de Calvin (idée du prédestination : c'est Dieu qui choisit les hommes qui connaîtront un salut, seuls quelques élus se reconnaissent en lui si ils ont une vie spirituelle extrêmement forte). Les protestants accordent une importance extrême au rapport intérieur avec Dieu, à une relation très personnelle. Au contraire, le salut catholique s'obtient en faisant le bien, et donc dans l'acte.
Face à ce protestantisme qui se développe, l'Église catholique se défend par la contre-réforme, qui va exalter ses forces. La « compagnie de Jésus », fondée par Ignace de Loyola, se veut le fer de lance de l'Église. C'est de là que viennent les jésuites, qui vont chanter Dieu et manifester de plus en plus sa présence par la peinture, la sculpture, et la musique baroque

B. Le XVIIème siècle ou le renouveau chrétien

1.Dévotion et sainteté

On assiste au XVIIème siècle à une véritable restauration du catholicisme grâce à la contre-réforme. Cela aboutit à la création d'ordres religieux qui vont se livrer à des actions charitables et sociales, tels que l'ordre de Saint Vincent de Paul ou celui de Saint François de Sales, mais également à l'encouragement d'un ordre moral extrêmement rigoureux, avec l'apparition de groupuscules qui se veulent les plus fervents, comme la Compagnie du Saint Sacrement. Tout cela fait naître une certaine littérature religieuse. Un tel contexte crée des rivalités et des polémiques avec des mouvements d'opposition. Les deux groupes religieux qui s'opposent sont les jésuites et les jansénistes, qui ont deux visions inconciliables du christianisme.

2.Un christianisme moderne ou le christianisme des jésuites

Ce christianisme restauré veut porter une confiance en l'Homme dans la continuation de l'humanisme, et pense que l'Homme peut être bon. La Compagnie de Jésus se veut le fer de lance de la religion catholique. Les jésuites vont fournir des confesseurs aux rois et aux privilégiés, et jouent un rôle très important dans la formation des élites dans les collèges et les universités ils ont donc un impact très puissant sur la population sur le plan intellectuel. Ils influent sur les arts en promouvant le baroque. Ce sont eux les missionnaires chargés de convertir les populations colonisées. Ils ont une idéologie qui sert les idéaux des puissants et combattent violemment le protestantisme. Ils pensent que l'Homme est capable de jouer un rôle dans son propre salut. C'est le jésuite espagnol Molina qui porte cette idée-là. Pour obtenir son salut, il faut le mériter en étant bon et dévoué, en pratiquant les sacrements et les rites religieux. Ils proposent un genre de « technique du salut » où l'hypocrisie a une place importante. Cela va finir par scandaliser certains chrétiens, et on condamne une technique trop théâtrale pour obtenir son salut. À cela s'ajoute la casuistique : les jésuites allaient voir leur confesseur pour demander si telle décision était en accord avec la religion et pour « s'arranger » (gestion des cas de conscience).

3.Le christianisme augustinien

A l'origine, il y a la figure du cardinal de Bérulle (1575-1629), qui a écrit un texte intitulé Discours des grandeurs de Jésus. Au lieu de s'inscrire dans le mouvement optimiste, il insiste au contraire sur la misère de l'Homme auquel il est voué depuis le péché originel et la chute. Il rappelle le tragique de la condition humaine, marquée du signe de la mort. Il se nourrit de la doctrine de Saint Augustin, docteur de l'Église au IVème et Vème siècles, qui dit que l'Homme est un être déchu, faible objet de ses passions et qui n'a pas la volonté nécessaire pour échapper à ses ténèbres. Son seul espoir est d'obtenir la grâce de Dieu, qui n'est accordée qu'à un petit nombre d'âmes prédestinées qui ont choisi la vie chrétienne avec tout ce que cela suppose.


II.Le jansénisme : un courant puissant et condamné

Ce courant a une origine religieuse : la technique du salut qui n'est ps une réponse, ainsi qu'une origine politique, car c'est un courant qui réagit contrela mondanité (existence d'apparat) qi se développe sous Louis XIV.

A. Un monastère « scandaleux »

C'est une abbaye cistercienne de Port-Royal des Champs qui avait été réformé par une jeune abbesse, Angélique Arnaud, qui voulait revenir à la pureté e la règle, à la ferveur de la foi, à une pratique qui relève d'une exigence forte. Les religieuses vont avoir un confesseur, l'abbé de Cyan, ami de Bérulle et acquis à ses idées, qui va fortement les influencer. Il insiste sur le fait que pur avoir une vraie vie spirituelle il faut se convertir, renoncer au monde, se consacrer entièrement à la prière et à la vie intérieure. Ce rigorisme va séduire les moniales, ainsi que toute la famille Arnaud (grande famille bourgeoise parisienne),et cela incite beaucoup de gens à tout quitter et à aller étudier avec le « solitaires » ou « messieurs ».

B. L'Augustinus

Sait Cyran décide de propager les idées d'un autre de ses amis, Corélius Jansen (1585-1638), auteur de l'Augustinus, dans lequel il réunit toues les idées de Saint Augustin. Il dit qu'on ne peut attribuer à l'Homme le pouvoir de se sauver lui-même et qu'il faut reconnaître la toute-puissance de Dieu et l'utilité de la souffrance du christ. Cela va susciter des polémiques. Les gens de Port-Royal, eux, sont tout à fait convaincus et y voient véritablement l'expression de leur pensée spirituelle ; ils deviennent des jansénistes. Ce courant va subir des persécutions parce qu'il constitue une élite spirituelle qui menace le pouvoir.

C.Défaite et victoire du jansénisme

1649 : La Sorbonne attaque L'Augustinus
1653 : Condamnation pat le pape Innocent X des propos de L'Augustinus
1656 : Arnaud, chef des jansénistes, est exclu de la Sorbonne
1661 : Louis XIV reprend la lutte contre les jansénistes
1664-65 : Les religieuses refusent de signer la condamnation ds propositions de Jansen et sont excommuniées et persécutées par la police.
1679 : Promulgation de l'interdiction au couvent de faire entrer des novices
1710: Destruction de Port-Royal et dispersion des dernières religieuses
1713 : Condamnation par la papauté ds 101 propositions de Jansen

C'est un courant qui touche aussi bien le pouvoir politique que le pouvoir religieux. On y trouve une bourgeoisie qui s'oppose à la monarchie absolue. Le fait de faire partie des élus place quelques hommes au-dessus des hiérarchies terrestres.
Le jansénisme a une influence puissante et durable, surtout en tant que philosophie. Il marque un point de vue pessimiste sur monde de la part des élites intellectuelles, et imprègne les œuvres des moralistes, comme La Rochefoucault (qui montre que derrière nos bonnes actions se cache quelque chose de beaucoup moins vertueux, et montre les enjeux inconscients des comportements) ou La Bruyère (qui met en scène des portraits en action où il montre que la vertu est le lieu d'un mensonge, et que les bonnes actions sont le résultat d'une volonté calculatrice), Racine (dont le théâtre est marqué par le jansénisme : la nature humaine est faible et objet de ses passions), ou encore Madame de La Fayette (la princesse de Clèves aime le duc de Nemours, mais ne cède pas car il y a pour elle un risque de perte de soi, elle sait qu'elle ne pourrait pas s'en remettre si Nemours la quittait : elle choisit le repos contre le bonheur car elle a peur de sa passion).

Il y a dans le roman un arrière-plan janséniste extrêmement important : Sante Colombe, Claude Lancelot, Madame de Pont-Carré, Monsieur de ures,.. Lancelot est avec Monsieur Nicole l'un des maîtres de Port-Royal. Parfois, le ton est proche de celui des moralistes. Par exemple : chapitre V : « Vous allez pourrir dans votre boue, dans l'horreur des banlieues, noyé dans votre ruisseau » ; « Vous êtes des noyés. Aussi tendez-vous la main. Non contents d'avoir perdu pied, vous voudriez encore attirer les autres pour les engloutir » ; chapitre IV. Sainte Colombe répond à Caignet par des vérités toutes faites.

C.La musique et la cour sous Louis XIV

La musique joue un rôle essentiel dans le règne de Louis XIV, car elle contribue à sa gloire exceptionnelle elle prend un enjeu tout à fait particulier. Il va fonder une académie royale de musique pour diffuser des opéras français dans tout le pays. C'est justement dans cet ensemble que va être engagé Marin Marais vers 1676. Il est dirigé depuis sa création en 1672 par Lully, soutenu par la faveur du roi (que l'on obtenait en le flattant), souvent aux dépens de Molière. Marin Marais va pouvoir répondre à une réelle ambition et connaître une véritable ascension sociale grâce à ses qualités vocales puis musicales. Il est engagé à 20 ans comme musiqueur pour la création de l'opéra pays. Il devient en 1679 joueur de viole de la chambre du roi en succédant à Caignet. Il exerce cette fonction mondaine pendant 40 ans, au cours des soupers, divertissements, retours de chasse,... C'est à partir de là que Quignard va opposer cette figure mondaine à la figure solitaire de Sainte Colombe.


II.La structure du roman

A. Résumé par chapitre

- Chapitre I : Présentation de la situation sociale et géographique de Sainte Colombe et de ses deux filles. Insistance sur la mort de Madame de Sainte Colombe cinq ans auparavant, après laquelle il se consacre à la musique. On apprend qu'il s'enferme dans une cabane qu'il a construite où il travaille qinze heures par jour, et que grâce aux modifications apportées à la viole il peut imiter toutes les inflexions de la voix humaine.
- Chapitre II : Très long portrait en action de Sainte Colombe. On le voit dans son comportement avec ses filles : froideur apparente, difficulté à parler, austérité,colères punitions (les filles sont enfermées dans le grenier et oubliées).
- Chapitre III : On voit Sainte Colombe enseigner la viole à Madeleine. On découvre les colères de Toinette, qui veut s'exercer elle aussi. Sainte Colombe lui offre pour Pâques une viole à sa taille. Concerts à trois.
- Chapitre IV : Intervention du roi par le biais de Caignet qui demande à Sainte Colombe de jouer à la cour, ce qu'il refuse violemment. Caignet se glisse sous la cabane pour écouter le jeu de sainte Colombe.
- Chapitre V : Caignet revient accompagné de l'abbé Matthieu (→ pouvoir politique + pouvoir religieux) pour convaincre sainte Colombe de se rendre à la cour. Nouveau refus violent. Le roi demande à ce que l'on n'assiste plus à ses concerts car il a partie liée avec « ces Messieurs de Port-Royal ».
- Chapitre VI : Vie paisible de la famille. Rêverie sur la barque. Jeu du Tombeau des Regrets.
- Chapitre VII : Première apparition de Madame de Sainte Colombe. Sainte Colombe demande à Baugin de lui peindre la table à écrire près de laquelle sa femme est apparue.
- Chapitre VIII : Arrivée de Marin Marais adolescent chez Sainte-Colombe. Il lui explique sa situation et lui demande de l'accepter comme élève. Il joue, Sainte Colombe refuse. Les filles interviennent en demandant à Marin Marais de jouer un air de sa composition. Il joue un air de badinage. Sainte Colombe accepte de le revoir un mois plus tard pour voir s'il en fera son élève.
- Chapitre IX : Sainte Colombe se souvient parfois de l'air de badinage de Marin Marais, et sa femme réapparaît alors.
- Chapitre X : Retour de Marin Marais pour sa deuxième leçon. Sainte Colombe l'accepte comme élève en émettant des réserves. Il est accueilli par Madeleine. À la fin, il la voit nue et elle se cache.
- Chapitre XI : Hiver, il neige. Sainte Colombe propose à Marin Marais de se rendre avec lui chez Baugin pour chercher le tableau promis. Premiers regards entre Madeleine et Marin Marais.
- Chapitre XII : Saint-Germain-l'Auxerrois, où Marin Marais a été chanteur. Atelier de Baugin, ils le regardent peindre. Sainte Colombe quitte Marin Marais brutalement.
- Chapitre XIII : Commencement du printemps. Sainte Colombe est furieux et fracasse la viole de Marin Marais contre la cheminée car celui-ci a joué devant le roi à la chapelle. Il lui donne une bourse d'argent en lui disant « Un instrument n'est pas la musique ». Madeleine dit à Marin Marais qu'elle lui apprendra la viole. Ils s'embrassent.
- Chapitre XIV : Retour de Marin Marais en cachette. Madeleine lui communique tous les savoirs musicaux de son père. Les amants s'aiment. Ils se cachent parfois sous la cabane pour écouter. On apprend qu'à 20 ans Marin Marais est engagé comme musiqueur du roi. Sainte Colombe les surprend et bat Marin Marais, puis lui demande si il veut épouser sa fille. Marin Marais dit qu'il n'est pas encore sûr.
- Chapitre XV : Évocation des libertins et des jansénistes. Sainte Colombe a toujours des liens avec les gens de Port-Royal, et va jouer pour eux lorsque l'un d'entre eux meurt. Déclaration d'amour à sa femme : « Je ne sais comment dire, Madame. Douze ans ont passé et les draps de notre lit ne sont pas encore froids. »
Chapitre XVI : Retrouvailles de Marin Marais et Madeleine. Elle lui donne les titres des airs de son père que personne n'entend. Marin Marais essaie d'écouter en se glissant dans la maison en cachette. Madeleine lui montre ses seins, mais elle doit partir car elle est appelée par son père. Premières avances de Toinette à Marin Marais.
- Chapitre XVII : On se rend à la chapelle pour la nettoyer. Toinette continue à faire des avances à Marin Marais, qui est d'abord réticent, mais ils finissent par faire l'amour. Il a l'impression en la voyant de voir la plus belle femme du monde.
- Chapitre XVIII : Marin Marais annonce à Madeleine qu'il la quitte.
- Chapitre XIX : Madeleine tombe malade et est enceinte. Marin Marais prend des nouvelles d'elle par Toinette. L'enfant est mort-né. Marin Marais ne prend plus de nouvelles. Madeleine se rétablit. En 1679, Caignet meurt et Marin Marais, à 23 ans, est nommé ordinaire de la chambre du roi et assure la direction d'orchestre auprès de Lully. Il se marie avec Catherine d'Amicourt, dont il aura 19 enfants. Toinette épouse Monsieur Pardoux (le fils du luthier qui lui avait fait sa viole) dont elle aura cinq enfants.
- Chapitre XX : Neuvième apparition de Madame de Sainte Colombe. Échange autour des mains de Sainte Colombe. Au moment de la grande persécutions de juin 1679 contre les jansénistes de Port-Royal.
- Chapitre XXI : Marin Marais revient chez les Sainte Colombe à leur insu et écoute les airs à la cloison de la cabane.
- Chapitre XXII : Hiver 1684. Un saule se rompt sous le poids de la glace. Madeleine est très malade et demande à son père de lui jouer la Rêveuse, l'air que Marin Marais avait composé pour elle. Sainte Colombe refuse et demande à Toinette d'avertir Marin Marais. Sainte Colombe ne va plus jouer pendant un moment à cause de la maladie de sa fille.
- Chapitre XXIII : Toinette et Luc Pardoux vont trouver Marin Marais et lui racontent les souffrances de Madeleine. Il hésite à aller la voir mais demande des nouvelles de Sainte Colombe.
- Chapitre XXIV : Marin Marais se rend chez Madeleine. Retrouvailles moroses. Il joue la Rêveuse.
- Chapitre XXV : Suicide de Madeleine.
- Chapitre XXVI : Des années après. Sainte Colombe a vieilli. Marin Marais souhaite toujours connaître les airs dont Madeleine lui a parlé. Pendant trois ans il se glisse toutes les nuits sous la cabane et entend Sainte Colombe parler seul (à sa femme ?) mais pas de musique.
- Chapitre XXVII : 1689. Marin Marais revient sous la cabane et revoit Sainte Colombe. Discussion autour de la musique. Il lui fait découvrir les Pleurs, la Barque de Charon et le Tombeau des Regrets. Ils jouent ensemble et pleurent. Marin Marais ne retourne à Versailles qu'à l'aube.

B. Observations concernant le récit

1.Titre et genèse du roman

La phrase coupée qui constitue le titre nous incite à approfondir le texte. La phrase complète est une maxime qui connote la morale pessimiste du texte.
Ce n'est pas le premier titre qui avait été retenu par Quignard. Il voulait d'abord l'appeler Le Sainte Colombe. Tous les matins du monde a été proposé par Corneau, qui se référait à un autre texte de Quignard, La Leçon de musique, où cette phrase apparaît. Dans ce texte, Quignard insiste sur la perte de la voix de Marin Marais en s'appuyant sur Titon du Tillet. Celui-ci avait, en 1732, écrit dans Le Parnasse français des éléments de l'histoire de Marin Marais et de Sainte Colombe, qui apparaît moins brillant que chez Quignard. C'est en s'appuyant sur ce personnage de l'ombre et en recréant son portrait qu'il interroge le rapport à la musique

2.La facture du texte

Quignard opte pour une facture très classique et très dépouillée, avec des chapitres très courts. C'est une écriture blanche (très implicite) où la parataxe est dominante. C'est la troisième fiction biographique de Quignard, après Les tables de buis d'Apronenia Avitia (1984) et Albucius (1950). L'écriture dépouillée s'oppose à d'autres textes comme Les Escaliers de Chambord ou encore Le Salon du Würtenberg.

Remarques :
→ Formulations du XVIIème siècle : « Il s'excusa une autre fois auprès d'elles de ce qu'il ne s'entendait guère à parler ».
→ Formulation épurée, profonde et puissante à l'image du rapport au monde de Sainte Colombe : « Il l'aimait ».
→ Sainte Colombe parle très peu, mais c'est une parole profonde et concentrée, dense.
→ On sent l'atmosphère sans qu'il y it vraiment de descriptions. Écriture suggestive qui donne une profondeur et une douceur même aux personnages les plus antipathiques et aux évènements les plus tragiques.
→ Beaucoup de silence. Écriture apaisante.
→ Chapitre XVIII : « Il lui disait : « Je vous quitte ». → Il lui dit sans doute autre chose, mais on ne retient que cela.
→ Descriptions à l'image des sentiments des personnages. Tout est symbolique.
→ Chapitre XII : Musique + Art pictural. Tout le texte = Tableau musical. « Ils fermèrent les yeux et ils l'écoutèrent peindre ».
→ Évocation constante du passé. Mélancolie, nostalgie.

3.Un récit structuré par la perte

Le roman s'ouvre sur la perte de Madame de Sainte Colombe, et c'est cette idée qui va être le fil directeur. Il va y avoir une suite d'abandons qui organisent le récit, qui font que Sainte Colombe est fascinant à nos yeux car il les traverse avec profondeur.
→ Abandon de la vie sociale (à l'exception de quelques amis jansénistes) après la composition du Tombeau des Regrets au chapitre II.
→ Renonciation à la lecture de ses amis, notamment des poètes libertins et baroques (chapitre II), puis renonciation à la peinture, en-dehors de celle de Baugin.
→ Refus de jouer pour le roi, au risque de la disgrâce (chapitres IV et V).
→ Renvoi de Marin Marais aux chapitres VIII puis XIII.
→ Perte de lien à ses filles : Madeleine se fait la complice de Marin Marais et lui livre les secrets musicaux de son père, ce qui est une trahison.
→ Perte de la parole et arrêt du jeu de la viole pendant dix mois au cours de la maladie de Madeleine.

Par toutes ces pertes, il a une relation très profonde à lui-même et parvient à retrouver sa femme.
Madeleine subit également de nombreuses pertes (Marin Marais, la musique,...) symbolisées par sa maigreur.
Toinette échappe à tout cela et a une vie normalisée. Elle incarne la pulsion de vie.
Marin Marais y échappe également, en-dehors de la perte de sa voix, évoquée en analepse externe.

4.Le roman d'une trajectoire parallèle et inversée

Le personnage de Marin Marais construit une ascension qui s'accomplit pleinement, car il finit par être nommé ordinaire de la chambre du roi à la place de Caignet. Il est initié à l'amour par Madeleine (âgée de huit ans de plus que lui), conquiert ensuite Toinette puis d'autres femmes. Sur le plan de l'ascension musicale, au début du texte il compose un air de badinage, et finit par accéder au dernier chapitre au secret musical de Sainte Colombe.

C.Un roman structuré par la quête de l'essentiel

Sainte Colombe perd son épouse et vit dans le regret de celle-ci, mais cela donne lieu à une quête plus profonde. Lorsqu'elle lui apparaît, il arrive enfin à lui dire qu'il l'aime : « Je ne sais comment dire, Madame. Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids ». L'apparition permet l'aveu amoureux. Elle lui rappelle sa difficulté à exprimer verbalement son amour pour elle. Ce n'est qu'au-delà de la mort que Sainte Colombe trouve le langage de l'amour. Il parvient également à se rendre compte que c'est lorsqu'il joue qu'il parle réellement : « Voilà la cabane où je parle ! ».
Sainte Colombe renonce au monde et refuse les offres de Caignet. C'est suite à cet abandon que sa femme apparaît pour la première fois. C'est comme si c'est en renonçant à l'inessentiel qu'il peut se rapprocher de l'essentiel. Madame de Sainte Colombe apparaît aux chapitres VI, VII, IX, XV et XX. Au chapitre XV, Sainte Colombe joue après la mort d'un janséniste, et c'est là qu'elle apparaît à nouveau. Sa neuvième visite, au chapitre XX, est liée à la grande persécution des jansénistes de juin 1679. C'est parce qu'il a cette exigence intérieure qu'il peut accéder à elle de manière surnaturelle.
Il y a ensuite le retrait de toute manifestation sociale et artistique, qui permet la relation à la musique la plus authentique qui soit. Pour lui, la musique est absolue, c'est-à-dire relative à elle-même, et donc désintéressée. En tant que quête absolue, elle ne peut être liée à quoi que ce soit qui lui soit extérieur. L'artiste, si sa relation à l'art est une quête de l'essentiel, doit avoir une vie coupée de tout ce qui est inauthentique. C'est ce qui mène au secret artistique.
Par la solitude et le silence, cette quête métaphysique permet d'accéder à une profondeur autrement inaccessible.
« Je hèle avec ma main une chose invisible ».
Les chapitres accordés à cette solitude sont beaucoup plus longs que les autres : chapitres XXVII, VI, VIII,... Chaque fois que la musique est en jeu, un nombre important de pages est accordé, contrairement aux chapitres qui évoquent la vie extérieure, comme par exemple le chapitre XIX. Tout est ritualisé.

On peut mettre en parallèle Marin Marais et Sainte Colombe. Le premier a perdu sa voix et est devenu un jeune homme. Après cette mue, l'homme se sent autre et vit dans le désir de retrouver sa voix d'avant. Ce qui permet de retrouver cela est la musique.

D.Du merveilleux au réel

La confrontation des chapitres nous fait prendre conscience qu'il y a à la fois une datation historique très précise, ainsi que des références temporelles évasives, au fil des saisons. Cela renvoie au conte, tandis que la datation précise renvoie plutôt au roman. On nous fait ainsi passer du merveilleux au réalisme.

1.Le conte

→ Apparitions de la femme de Sainte Colombe, car celui-ci ne paraît pas du tout s'en inquiéter.
→ Processus de répétition (Marin Marais sous la cabane, apparitions, colères de Sainte Colombe, leçons de musique de Marin Marais,...)
→ Évocation de la nature propre au conte : monde plus symbolique que réel, espace stylisé.
→ Traitement évasif du temps. Chapitre VI : « Pendant des années ils vécurent dans la paix et pour la musique » ; chapitre IX : « Les mois passèrent ».
→ Traitement des personnages : opposition fortes (Madeleine/Toinette). Dans le conte comme ici, les personnages n'ont pas d'épaisseur psychologique, on reste à l'extérieur d'eux.
→ Structure : Situation initiale → Élément perturbateur → Péripéties → Élément révélateur → Situation finale. Ici, l'élément perturbateur est Marin Marais.
→ Parataxe.

2.Un récit où l'Histoire est présente

→ Dates précises : persécution de 1679, dates de l'ascension de Marin Marais,...
→ Personnages historiques : Lancelot, Mr de Bures, Caignet et l'abbé Matthieu, référence à Louis IV,...

Ce texte est très difficile à identifier sur le plan du genre. Il a une facture classique extrêmement dépouillée qui fait toute sa singularité. Cette écriture épurée est à l'image du personnage de Sainte Colombe.
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